Le « Jardin Punk »

Entretien avec Eric Lenoir, créateur du concept

Éric Lenoir est un paysagiste singulier. Depuis 2011, il « ensauvage » les plantes horticoles et apprivoise les sauvageonnes dans un concept imaginé et mis en œuvre dans sa pépinière au Flérial, dans l’Yonne... Son dernier livre, « Le Grand Traité du Jardin Punk », est paru en 2021. Il y explique ses méthodes pour réaliser un jardin « pour fainéants » !

Eric Lenoir, concepteur du

Comment est né le « Jardin Punk » ?

Ce concept est né en réaction aux nombreux blocages constatés de la part des pouvoirs publics et des particuliers pour faire évoluer les pratiques paysagères vers des méthodes et des designs plus respectueux de l’environnement et plus économiques. Après des années de recherches et d’expérimentations, j’ai défini quelques principes permettant de s’affranchir de certaines habitudes nocives. Cela avait aussi pour but de montrer aux néo-jardiniers qu’ils n’étaient pas obligés de sombrer dans le piège de l’artificialisation des sols, du robot-tondeuse ou du « béton vert » des haies constituées d’une seule espèce, pour prendre du plaisir dans leur jardin, même avec très peu de temps ou de moyens pour l’entretenir.  

Quelles méthodes préconisez-vous ?

Commencer par prendre le temps de l’observation avant d’intervenir. L’observation du lieu comme de soi : quelles sont les conditions du terrain ? (vent, pluie, voisinage, sol, espèces présentes saison après saison…), quelles sont nos habitudes et besoins ? (déjeuner dehors, aller jusqu’à l’abri de jardin sans se salir, avoir de l’ombre, aller cueillir des petits fruits…)
Ensuite, il faut voir tout ce qu’il n’est pas fondamentalement utile à entretenir. Est-il vraiment nécessaire de tondre à ras l’intégralité de la pelouse qui devient alors jaune l’été ? Faut-il vraiment abattre cet arbre imparfait déjà présent pour en planter un autre dont il faudra prendre soin pendant des années pour, peut-être, avoir un ombrage comparable ? 
Puis, je donne tout un tas d’astuces consistant à magnifier l’existant plutôt qu’à tout refaire ou créer. Par exemple, ajouter quelques plantes vivaces ornementales ou arbustes à un « faux » massif créé simplement en cessant de tondre une zone, ou encore transformer un buisson que l’on taillait constamment en boule pour le laisser prendre l’allure d’un petit arbre dont on aura magnifié la ramure par une taille durable, dite « en transparence ». 

Que faire au potager ? Au balcon ?

Le potager demande, par nature, beaucoup de travail pour être productif. Ceci considéré, il existe des fruits et légumes moins exigeants que d’autres, telles les pommes de terre qui peuvent donner de très bons résultats en n’étant que recouvertes de tas de gazon, les tomates-cerises ou les courges plantées directement sur un tas de compost, ou encore les cerises-aigres extrêmement rustiques qu’on peut planter négligemment dans un coin du jardin pour les récolter annuellement, sans jamais s’en préoccuper le reste du temps. 
Le semis « à la punk » sur un sol fraîchement dénudé (suite à des travaux, au passage d’une taupe, à une intervention de jardinier) fonctionne aussi très bien sans soin pour des espèces telles que la roquette, les blettes, la mizuna, la mâche mais aussi nombre d’aromatiques. S’il n’y a pas trop de gastéropodes, les haricots d’Espagne, ou à rames, au pied des haies pour qu’ils y grimpent présentent aussi l’avantage d’apporter de l’azote au sol. 

Au balcon, on peut avoir une approche très naturaliste en accueillant les fleurs sauvages se semant spontanément, en agrémentant les pots de plantes annuelles robustes tels que les nigelles ou les pavots de Californie pour une touche de couleur, ou de vivaces se ressemant facilement d’un pot à l’autre comme la valériane rouge, l’érigeron de Karvinsky ou les splendides ancolies… et les tomates-cerises.

Expliquez-nous votre conception du jardin durable...

Un jardin durable… n’existe pas ! La nature n’est faite que d’évolutions, de changements, d’équilibres provisoires. Quel sera l’usage fait de votre jardin après vous ? Qui l’utilisera, à quelles fins, dans quel contexte climatique ou économique ? À l’idée de « durable », je préfère celle de « responsable », comme on prend soin d’un lieu dont on n’est que l’usager provisoire, et dont d’autres bénéficieront après nous pour répondre à des besoins qui seront les leurs, et dont nous ne savons probablement rien aujourd’hui.

Propos recueillis par Isabelle Cordier
 

LG
MD
SM